Houellebecq à Rouen en pleine décadence

Houellebecq sait mieux qu’aucun autre écrivain dépeindre la décadence de notre époque.

« Ensuite, j’ai flâné dans de petites rue. Tout à fait par hasard, je suis entré dans l’aître Saint-Maclou : une grande cour carrée, magnifique, entièrement entourée de sculptures gothiques en bois sombre. » (Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, deuxième partie, ch. 3)

La scène se situe dans une dans un quartier touristique de Rouen. Et il s’intitule « le jeu de la place du Vieux-Marché ».

Le personnage principal, le narrateur essaye de comprendre en quoi réside ce jeu.

Et tout simplement c’est celui que jouent les piétons  qui passent dans cette rue touristique. Ils sont en train de passer un bon moment. Houellebecq écrit : « il communient dans la certitude de passer un agréable après-midi, essentiellement dévolue à la consommation. »  

Et le narrateur prend ses distances par rapport à cette foule. Houellebecq écrit : « je me sens différent d’eux, sans pour autant préciser la nature de cette différence ».

Mais le reste du chapitre qui est aussi une forme de description de la ville de Rouen, met en perspective la partie historique de la ville et le présent de celle-ci.

D’un côté on a une ville historique, datant d’environ 500 ans. C’est la ville de l’époque où vécut Jeanne d’Arc.

En effet on se souvient que c’est là dans cette ville que Jeanne d’Arc a été condamnée à mort en 1431.

Houellebecq décrit un monument censé commémorer la présence de Jeanne d’Arc. Il écrit « on a construit une espèce d’entassement de dalles de béton bizarrement incurvé à moitié enfoncé dans le sol qui s’avère à plus ample examen être une église ».

Et le reste de la description de la ville confirme la décadence dans laquelle elle est tombée. Le narrateur a des mots très dur à l’égard du maire de la ville qui semble la livrer à la saleté et à la délinquance. Le narrateur ne se sent pas en sécurité dans les rues de Rouen.

Et pour revenir à l’aître Saint-Maclou, ce lieu semble symboliser la disparition de toute trace de christianisme dans la ville. Ce lieu religieux n’est plus qu’une place de tourisme et de commerce. Il a perdu toute signification.

Voici la définition que l’on trouve dans wikipedia : « Un aître est la cour rectangulaire d’un cimetière médiéval attenant à un lieu de culte, et appartenant le plus souvent à la paroisse dudit lieu de culte. Même si le terme pouvait à l’origine désigner le parvis ou la cour d’entrée d’une église, il désigne couramment au Moyen Âge la zone funéraire entourant celle-ci, entourée du charnier composé de galeries couvertes, de chapelles funéraires et d’ossuaire. »

L’aître Saint-Maclou est un ancien aître, charnier datant du e siècle, situé sur la commune de Rouen dans le département de la Seine-Maritime en région Normandie. Il constitue un des rares exemples d’ossuaire de ce type subsistant en Europe. (Wikipedia)

Le jeu de la place du Vieux-Marché, que décrit Houellebecq est un « faire semblant. » Les passants que croise le narrateur font semblant de prendre plaisir à ce décors de ville touristique, la vieille ville de Rouen. Ils prennent plaisir, non pas à être ensemble, mais à être seul-ensemble, dans une attitude narcissique.

Ce que dénonce Houellebecq, avec ironie, à la fois souriant et rageur, c’est ce « faire semblant. » Car derrière l’apparence (une vieille ville où il fait bon vivre, un quartier piétonnier où toutes les marchandises sont abondantes, où tous les besoins peuvent être satisfaits), la misère morale et psychologique n’échappe pas au regard du romancier.

La ville est mal gérée par un maire qu’on imagine laxiste (d’où la délinquance partout présente, et la saleté des rues) et satisfait de soi. Elle trahit la décadence qu’a subi la civilisation occidentale au cours des siècles, depuis le moyen âge.

Dans ce chapitre, Houellebecq met en parallèle la vie traditionnelle (telle qu’on l’imagine au Moyen Âge) et l’époque moderne.

Ce qui est sous entendu, avec les mentions du patrimoine religieux, c’est le changement spirituel qui s’est produit au cours des siècles. Même si le narrateur ne l’évoque pas clairement (« je me sens différent d’eux, sans pour autant préciser la nature de cette différence »), c’est cette modification des mentalités qui conduit à une forme de décadence observable dans la ville de Rouen.

En quelques mots, la mentalité des passants croisés dans la vieille ville se caractérise. Ils sont :

  • Grégaire
  • Individualistes
  • Narcissiques
  • Nihilistes (les blousons aux motifs empruntés au hard rock comportent des messages « kill them all », « fuck and destroy »)
  • Consommateurs, jouissent

Et si le narrateur se sent différent d’eux, au fond il obéit à la même logique individualiste.

Déjà, dans L’extension du domaine de la lutte préfigure les Particules élémentaires, roman de l’individualisme sans espoir.

Dans son parcours dans la ville de Rouen, le narrateur fait une incursion dans un cinéma spécialisé dans la pornographie. C’est presque un passage obligé pour un roman de Houellebecq. La scène, parfaitement glauque, complète le tableau de la décadence commencé dans ce chapitre.

Ajoutons enfin que le style de Houellebecq, déjà, ne présente aucun raffinement. C’est une suite de notations sociologiques et de description subjectives. Le niveau de langue est courant voire vulgaire.

C’est peut-être une des raisons du succès de l’écrivain : sa langue est abordable par tous. Elle l’intimide pas le lecteur le moins cultivé. C’est aussi ce qui fait de Houellebecq un « type comme nous » : on peut le croire aussi peu doué pour l’écriture qu’il ne l’est, apparemment, pour le bonheur. Sa mélancolie bon marché se diffuse sans obstacle dans un lectorat très vaste.

Le texte que nous venons de citer est un de ceux où Houellebecq aborde la question du déclin de l’occident. De nombreux passages de ses livres sont, en réalité, consacrés à la décadence de nos sociétés. C’est même devenu la marque de fabrique de cet écrivain.

Houellebecq a reçu le prix Oswald Spengler décerné par la Société du même nom. Spengler est l’auteur de Le Déclin de l’Occident. La Société Oswald Spengler a été fondée par l’historien David Engels, auteur d’un livre intitulé Le Déclin